... Viens tout juste de terminer le visionnage de Quatre Minutes, dans le cadre des mes nuits d'insomnie galopante qui me menent parfois jusqu'à des heures qui relèvent du translucide, à confondre le jour, la nuit, le sommeil, l'éveil..
Je ne sais pas si le cinéma allemand renait de ses cendres ou si ce sont les distributeurs qui recommencent à s’y intéresser mais l’air de rien, en quelques années, de plus en plus ont débarqué dans les salles françaises, avec quelques chefs d’œuvres mémorables à la clef (la Vie des Autres bien entendu). Avec ce Quatre Minutes au titre mystérieux et qui avait à sa sortie conquis le public et la critique dans tous les festivals, l’inconnu Chris Kraus livre un drame tout aussi convenu que poignant, alternant le déjà vu et l’inédit dans un traitement qui apporte une touche de modernité à l’austérité du film d’auteur… émotionnellement c’est puissant..
Où le schéma est relativement classique, c’est dans cette relation maître/élève entre une vieille sage qui semble porter un lourd secret et la jeune louve indomptable, c’est vu et revu et rerevu, néanmoins le réalisateur réussit par je ne sais quel tour de passe-passe à nous passionner pour leur destin…
Notons que les éléments du passé de Mme Krüger nous sont servis petit à petit par de courts flashbacks bien sentis, loin des longues explications pompeuses.. C’est tout de même surprenant de voir à quel point ce cinéma allemand moderne a toujours tendance à placer la thématique nazie dans ses films, comme si il fallait à tout prix montrer les conséquences sur les nouvelles générations à chaque nouveau drame que l’on filme.. C'est très bien car le pays affronte enfin son passé avec recul et prépare enfin sa révolution culturelle, mais attention à ce que cela ne ressemble pas à un ressort dramatique commun…
La plus jeune s’est calfeutrée dans une armure de violence et a coupé tous les ponts sociaux possibles, la plus âgée a tout simplement cessé de vivre depuis la trahison faite à son amour qui a conduit à la perte de cette dernière..
Leurs parcours sont très douloureux mais intelligemment Chris Kraus ne vient jamais céder à la facilité, l’émotion naît tout simplement de ces petits moments émaillés qui voient les coquilles se briser doucement, ces personnages achevant de se livrer pleinement l'un à l'autre..
Croix pesante de la culpabilité, quete du pardon, absolution… Quatre Minutes brasse des thèmes forts, élimine assez vite ceux liés à la religion et à la foi pour rester du côté humaniste de la chose, avec bonheur et delectation..
De plus il peint de bien belle manière le milieu carcéral des prisons féminines souvent passé sous silence sous l'oppressant poids du tabou, loin des clichés WIP (Women In Prison) mais éperdument réaliste.. Le contraste entre la froideur du décor et la douceur du piano n’en est que plus saisissant..
Les actrices sont magnifiques, Monica Bleibtreu (la soixantaine) bénéficie d’un maquillage bluffant qui la rend absolument crédible dans la peau d’une octogénaire marquée; elle est superbe dans le rôle de ce professeur rongée par un passé sombre, lié aux agissements atroces des nazis envers les minorités..
Mais le film demeure porté par la jeune Hannah Herzsprung, hallucinante dans sa composition de la folie qui camoufle un vide émotionnel fantastique et effrayant. Elle est l’image de l’écorchée prise dans sa spirale d’autodestruction, et qui semble n’en sortir que par intermittence, par la musique..
La mise en scène est surprenante.. Alors qu’on pouvait s’attendre à un style relativement épuré, Chris Kraus se permet pas mal d’effets visuels plutôt bien amenés et virtuoses, même si l'on n’assiste pas là à une démonstration technique de jeune étudiant fraichement sorti d'école de cinéma, il est toujours rassurant de voir que certains savent encore, à l'image des tres grands réaliateurs historiques, équilibrer le fond et la forme.
Et il y a ce final hallucinant et halluciné qui vient justifier le titre.. Une scène de concert débridée, complètement démente, dans laquelle la jeune Jenny fait corps avec son piano et avec la musique.. C’est à la fois magnifique et grotesque, mais d’une puissance visuelle et sonore absolue, complètement étourdissant...
Quatres Minutes nous offre assurement un moment de poésie intense, le questionnement sur le concept de la douleur du parcours de vie, et surtout l’aperçu d’un talent à suivre, capable de marier lyrisme et violence sourde, Chris Kraus..
RL.
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