Suite à l’annonce récente de l’annulation de la remarquable série Deadwood (deux téléfilms pour clore l'intrigue seront tout de même tournés), il convient de faire un bilan de l’évolution de HBO sur ces dernières années..
D’abord, Home Box Office (HBO) est une chaîne cablée "premium", ce qui signifie que son signal est crypté et que seuls ses abonnés peuvent la regarder, grâce à un décodeur qui leur est fourni exactement comme celui de Canal+ qui a été créé en suivant le modèle de la chaîne américaine..
Le financement de HBO ne repose donc pas sur les revenus de la publicité, comme c’est le cas des networks, mais sur les abonnements. Les audiences de ses programmes ne régissent donc pas totalement les décisions de la chaîne, contrairement à ce qui se passe sur les networks (CBS, NBC, ABC, FOX, WB et UPN, pour l’instant)..
Le fait que les programmes ne soient pas disponibles à tous (pas disponible aux enfants, donc, en théorie) libère aussi HBO des contraintes de la FCC (Federal Communication Commission), qui contrôle ce qui est montré à la télévision, est qui est aux USA ce que le CSA est à la France..
HBO est donc totalement libre de ses contenus, c’est pourquoi elle peut montrer de la nudité et de la violence sans être inquiétée.. La liberté dont jouit HBO est donc presque totale, ce qui en a fait pendant longtemps une exception dans le paysage audiovisuel américain.
Ce statut d’exception sur lequel la chaîne s’est bâtie s’effrite cependant de plus en plus, et, même si financièrement la chaîne est toujours viable, le déclin de HBO est peut-etre helas indubitable..
Depuis sa création, HBO a toujours été à la pointe de la technologie: première chaîne cablée en 1965, première chaîne à péage cryptant son signal, première chaîne diffusée par satellite en 1975, première chaîne à passer à la haute définition...ect…
HBO a multiplié les innovations techniques au cours de son histoire.. Mais sa renommée d’aujourd’hui provient avant tout de la politique audacieuse de productions qui a commencée lorsque Chris Albrecht a été nommé Président des Programmes Originaux HBO (HBO Original Programming) en 1995.
Avant l’arrivée d’Albrecht à ce poste, la grille des programmes de HBO était principalement remplie par des films et du sport... Seule la sitcom Dream On, produite et diffusée par HBO de 1990 à 1996, pouvait laisser présager de ce que serait le futur de la chaîne: cette comédie écrite par les futurs créateurs de Friends (Martha Kaufman et David Crane) était la première sitcom de l’Histoire de la télévision américaine à utiliser un langage familier et à montrer de la nudité.
Au plus haut de son succès, la série a même été rediffusée sur la FOX (qui en a censuré tout le contenu "sensible", cela va de soi)...
Mais le vrai premier succès de HBO fut Oz, qui a commencé sa diffusion en juillet 1997..
La série, qui se déroule dans une prison de haute sécurité, montre la prison dans toute son horreur et n’épargne rien au spectateur: nudité féminine et (surtout) masculine, sexe (forcé et consenti, hétérosexuel et homosexuel), et ultra violence sont montrés joyeusement.. Il faut se remettre dans le contexte de 1997 où jamais un tel contenu n’avait été diffusé à la télévision américaine pour se rendre compte que HBO, profitant de sa situation particulière, prenait alors un énorme risque..
Mais le risque fut payant: bien que la série fut attaquée de toute part par de rares associations de défenses des valeurs morales qui y voyaient probablement l’oeuvre de satan quelconque, Oz reçut un succès publique et critique immédiat..
Le succès de Oz est l’étincelle qui met le feu aux poudres de l’empire HBO: à partir de 1998, la chaîne câblée lance une nouvelle série par an et HBO entre véritablement dans son âge d’or, une période de succès créatif, critique et public sans précédent.
Chacune des nouvelles séries se révèle être un coup de maître: Sex and the City en 1998, The Soprano en 1999, Six Feet Under en 2001 (en 2000, HBO a lancé Curb your enthousiasm, série à succès qui continue toujours mais qui n’a pas atteint le statut « culte » des trois précédentes). Ces séries ont apporté à HBO des audiences dont ils n’avaient jamais osé rêver (grâce à The Soprano surtout), des critiques dithyrambiques et une domination sans partage sur les cérémonies de remises de prix de la télévision (Emmy Awards, Golden Globes, …)..
Cet état de grâce a cependant pris fin en 2001 avec le premier échec de la chaîne (qui coïncide avec le changement de poste de Chris Albrecht). La série The Mind of the Married Man fut annoncée comme un Sex and the City masculin, mais ni les critiques ni le public n’y retrouvèrent les qualités de cette dernière..
HBO donna tout de même une deuxième chance à la série (c’était une époque où HBO pouvait encore se permettre une telle générosité), mais la seconde saison de The Mind of the Married Man fut la dernière..
Dans la période 2002-2004, consciente que ses séries phares vieillissaient et ne dureraient pas pour toujours, HBO a essayé de renouveler son catalogue de séries avec quatre nouveaux programmes..Trois ans plus tard, une seule a survécu..
Deux séries historiques ambitieuses furent commandées, Carnivale et Deadwood. Malgré leur qualité, ces deux séries ont été annulées aujourd’hui..
Deux thrillers furent également produits: K Street et The Wire..
La première était une série politique de George Clooney et Steven Soderbergh, qui avait cette particularité d’être en grande partie improvisée et de traiter d’évènements récents.. La série était donc tournée dix jours avant sa diffusion.. Ces contraintes de production et ses audiences décevantes menèrent à son annulation après dix épisodes seulement.
The Wire, au contraire, va commencer sa quatrième saison en Septembre 2006. Cet excellent thriller est peut-être le dernier vestige de l’ancienne politique de HBO: la série a toujours eu des audiences faibles, mais grâce à des critiques enthousiastes, elle est toujours en production..
En 2004-2005, HBO a essayé une nouvelle tendance qui s’est soldée par un semi-échec: En diffusant Entourage, Unscripted, Extras et The Comeback, la chaine cablée s’est lancée dans la production massive de comédies satiriques sur Hollywood..
A l’exception d’Entourage, aucune de ces séries n’a convaincu.. 2005 a donc été une année difficile pour HBO: quatre de ses séries se sont terminées, naturellement (Six Feet Under) ou par annulation (Carnivale, The Comeback, et Unscripted).. Sex and the City a diffusé son dernier épisode en 2004 et en 2006, la sixième saison de The Soprano sera la dernière..
HBO a désormais besoin de nouveaux succès pour redonner un coup de fouet à son image en déclin.. Les deux nouvelles séries qui devaient remplir ce rôle, Rome et Big Love, ont joui d’un succès correct, mais en deçà des attentes de la chaîne. Elles ont cependant toutes deux été reconduites pour une seconde saison..
Alors comment expliquer ce debut de déclin??
Et bien paradoxalement, HBO a probablement été victime de son succès et de son influence sur le reste de l’industrie télévisuelle américaine.. Les séries de networks sont devenues de plus en plus ambitieuses, et toute une myriade de chaines cablées se sont développées sur le modèle HBO: tout cela crée de la concurrence pour la chaine, et amenuise petit à petit le statut d’exception sur laquelle elle a bâti toute sa réputation...
Depuis 1997, le slogan de la chaîne est "It’s not TV, it’s HBO"..
Influencées par le succès de HBO, les networks ont changé leur manière de faire les séries et elles osent enfin produire des concepts ambitieux..
24 a encore une fois été un précurseur, avec son action en temps réel, mais ce sont surtout Desperate Housewives et Lost qui, la saison dernière, ont surpris par leur originalité de ton et de forme...
Cette année, la série de NBC The Book of Daniel était très clairement inspirée de Six Feet Under; de plus, au niveau des comédies, les sitcoms sont de plus en plus tournées en "une caméra" sans rires enregistrés, comme sur HBO, au lieu du "quatre caméras" telles que Friends, Will and Grace... ect.. toutes les sitcoms traditionnelles.
Scrubs fut l’une des premières et cette année pas moins de quatre comédies "une caméra" ont été lancées: The Loop et Free Ride sur FOX, Everybody hates Chris sur UPN, My Name is Earl sur NBC..
Il est cependant intéressant de remarquer que HBO prend à contre-pied la tendance qu’elle a elle-même initiée puisqu’elle lance le 11 juin sa première comédie traditionnelle, tournée en quatre caméras devant un public: Lucky Louie..
Les networks ont été influencées dans le type de séries qu’elles produisent mais aussi dans la manière dont elles les programment...
Traditionnellement, la vingtaine d’épisodes que comporte une année de série de network est répartie sur l’ensemble de la saison télé, d’octobre à mai, et comme 22 épisodes (environ) sont insuffisants pour remplir la trentaine de semaines de la saison, la diffusion est en réalité une alternance entre périodes d’épisodes originaux et périodes de rediffusions..
Sur HBO au contraire, les séries ont des saisons de 12 ou 13 épisodes, qui commencent n’importe quel mois de l’année, et dont la diffusion est continue chaque semaine sans rediffusions.. Cela permet à HBO d’annoncer chaque début de nouvelle saison comme un "évènement"..
Mais le schéma très rigide de la diffusion des séries sur les networks tend à s’assouplir ces dernières années, suivant la méthode HBO.. Le réseau FOX est un précurseur en la matière: en 2003, la chaîne décide de bouleverser les habitudes des spectateurs en lançant sa nouvelle série The O.C. en août..
L’expérience est un succès car lorsque la nouvelle saison télé commence en octobre, The O.C. échappe à la cohue des débuts de saison et a déjà un public fidèle.. L’idée de FOX a inspiré toute une série de programmation d’été sur les networks, mais le miracle The O.C. ne s’est pas reproduit à chaque fois: Summerland (WB) comme The Inside (FOX) ont été des flops..
L’année suivante, en 2004, FOX a eu l’idée de programmer 24 non pas sur l’ensemble de la saison télé (d’octobre à mai) mais de janvier à mai, pour que la série, qui doit être suivie régulièrement pour être bien appréciée, ne soit pas interrompue de rediffusions..
Cette manière de diffuser la série fait du début de 24 chaque année un "evenement" après plusieurs mois d’absence..
Et la tendance s’étend à tous les networks: ABC a annoncé que pour la saison prochaine, Lost serait diffusée en deux blocs d’épisodes ininterrompus.
La réussite de HBO a aussi stimulé le développement d’autres chaines cablées.. Showtime d’abord est le concurrent direct de HBO puisque c’est également une chaîne "premium" à péage..
La chaîne a commencé à attirer l’attention sur elle en 2001 avec la version américaine de Queer as Folk.. Le succès de la série (mérité pour sa première saison, exagéré pour sa suite) a poussé Showtime à oser lancer des séries innovantes telles que The L Word, Fat Actress ou Dead like me.. Malgré son succès critique, cette dernière a été annulée rapidement: si Showtime peut concurrencer la HBO post-2001, elle est encore loin du statut qu’avait acquis la chaine cablée pendant son âge d’or...
Toutefois, dernièrement, Showtime fait un sans-faute: ses deux nouvelles séries, Weeds et Sleeper Cell, sont excellentes.. La première parait avoir été inspirée par le succès de Desperate Housewives, et la seconde par le modèle de 24: récemment, Showtime semble plus influencée par les succès des networks que par HBO. On pourrait voir là un autre signe de déclin, mais bon..
Les chaînes du câble "basique" sont également en plein boom..
FX a lancé les excellentes Nip/Tuck (malgré sa troisième saison décevante), The Shield et Rescue me, USA Network a Monk, The Dead Zone et The 4400, Sci Fi Channel a le chef-d’œuvre Battlestar Galactica…
Petit à petit, toutes ces chaines cablées mineures commencent à compter sérieusement, et à représenter une concurrence importante pour HBO..
HBO a complètement changé le paysage audiovisuel américain, mais la chaine s’est faite rattrapée dans bien des domaines et a perdu son statut d’exception, parce que justement elle en etait une, et la copie se fait aujourd'hui sentir..
Sa politique est également un peu moins ambitieuse et courageuse depuis quelques années; les annulations de Carnivale, The Comeback et récemment Deadwood portent atteinte à sa réputation de paradis des auteurs où la création artistique est irréductible aux impératifs économiques..
Même si la chaine continue à produire des séries de grande qualité comme Rome par exemple, elle n’est plus à la pointe de la création artistique..
Le PDG Chris Albrecht semble s’etre résigné à ce que la chaine ne retrouve plus jamais le niveau de la période 1997-2001, et il a annoncé que HBO allait se concentrer désormais sur les innovations techniques et notamment HBO On Demand, qui permet au spectateur de contrôler sa consommation télévisuelle... Cependant, à l’heure de l’internet et de la convergence des médias, on peut être sceptique sur l’avenir de ces systèmes de télévision à la carte…
Affaire à suivre, donc..
RL.